V
Revers de fortune
En entendant l’ordre d’ouvrir le feu répercuté d’un pont à l’autre, les chefs de pièce approchèrent la mèche de la lumière et bondirent en arrière. À Bolitho, qui était à son poste entre deux pièces, cette demi-seconde parut un siècle ; dans cette éternité, le silence prenait une formidable densité et figeait chaque mouvement, comme dans une nature morte. Il eut le temps de voir les hommes, le dos nu, l’anspect à la main ou parés aux palans. Les chefs de pièce avaient le visage tendu ; ils se concentraient sur leur sabord et leur objectif. On n’apercevait plus que le ciel parfaitement pur et la forteresse éclairée par le soleil.
Puis tout changea soudain. L’entrepont explosa dans le fracas des canons, la coque trembla comme sous l’effet d’une avalanche. L’une après l’autre, les pièces reculèrent. Les hommes s’empressaient avec leurs éponges pour refroidir les volées avant d’y enfourner une nouvelle charge et un boulet rouge vif.
Le lourd nuage de fumée s’éloigna lentement dans le vent, masquant la forteresse et couvrant le pont d’un brouillard sombre.
— Nettoyez les lumières ! hurla Tregorren. À écouvillonner ! Rechargez !
Mais sa voix parvenait étouffée aux oreilles des hommes, encore assourdis de la première bordée.
La salve de tribord avait changé les choses du tout au tout. Les hommes avaient oublié leur nervosité, ils étaient maintenant tout excités : ils se congratulaient, se tapaient sur l’épaule comme des gosses. Désormais, ce n’était plus l’exercice : ils faisaient bel et bien la guerre et ils s’y employaient sérieusement.
— En batterie !
Les hommes s’attelèrent aux palans et les affûts avancèrent en grinçant. Chaque pièce mettait son point d’honneur à être parée la première.
— Cré nom d’une pipe, ils vont entendre une autre musique, ce coup-là ! s’exclama Wellesley.
— Et peu importe qui c’est, bon Dieu de bois, ajouta Tregorren.
Les hommes mettaient l’attente à profit pour tenter de jeter un coup d’œil par les sabords. Bolitho entendit un grand fracas sur le pont supérieur. La Gorgone devait montrer fière allure, à condition toutefois qu’il y eût quelqu’un pour l’admirer. Toutes ses pièces en batterie éclairées par le soleil levant, sous voilure réduite, elle se rapprochait toujours de la côte. Il ne savait même pas qui leur avait tiré dessus ni pourquoi et fut tout étonné de constater qu’il s’en moquait éperdument. Ces quelques minutes de combat avaient transformé tous les hommes et leur bâtiment en un bloc qui faisait corps.
— Paré à vos postes !
Le suspens était à vous couper le souffle. Puis brutalement :
« Feu ! »
Un grand tremblement parcourut la coque et le plancher se mit à gémir sous le recul des pièces tandis que la fumée s’échappait en lourds panaches par les sabords.
Malgré les regards foudroyants de Tregorren, Eden se mit à applaudir des deux mains. Quelques matelots éclatèrent de rire.
— Ils vont peut-être comprendre ce qu’on vaut, là-haut ! s’exclama Dancer. On serait capables de tirer sur les étoiles !
Il fit une grimace en entendant quelque chose heurter la coque de plein fouet et des clameurs retentir au-dessus de leurs têtes.
Bolitho lui fit signe qu’il avait compris, lui aussi : coup au but. Leurs mystérieux adversaires leur donnaient la réplique.
Une pompe se mit à claquer. Bolitho en déduisit que le boulet incandescent avait pénétré dans le bordé et qu’on refroidissait le bois avant qu’il prît feu.
D’un coup de menton, un matelot lui indiqua les hauts :
— Au moins, ils ont quelque chose à faire, tous ces bons à rien !
Mais personne n’avait le cœur à rire. Wellesley se frottait furieusement les joues, incapable de croire que quelqu’un pût s’en prendre à un vaisseau de Sa Majesté.
— Chargé partout, monsieur !
Un planton apparut dans la descente et leur cria :
— Nous prenons le large, monsieur ! Disposez-vous à engager l’ennemi à bâbord.
Puis il disparut.
Fairweather jeta un coup d’œil à Bolitho ; on ne distinguait que ses dents blanches dans la fumée.
— On a fait du joli boulot, monsieur, pas vrai ? Il faut bien donner sa chance à l’autre bordée !
Son chef de pièce le regarda de haut :
— Ils ont eu le dessus, oui, et c’est nous qui nous tirons, espèce d’imbécile !
Fairweather n’en revenait pas, et la déclaration abrupte de l’officier marinier fit rapidement son effet sur les autres.
Tregorren apparut entre les barrots.
— Parés à vos pièces, préparez-vous à mettre en batterie ! – et se tournant vers Bolitho : Mais, bon sang, qu’est-ce que vous regardez comme ça ?
— Nous nous éloignons, monsieur.
Il parlait d’une voix calme, on entendait encore un feu nourri dans le lointain. Cette forteresse avait de l’artillerie à revendre.
— Votre analyse est d’une finesse, monsieur Bolitho !
La Gorgone se coucha en venant dans le vent et Tregorren dut s’agripper à un barrot. Les embruns jaillissaient devant les sabords.
— Vous avez sans doute mal supporté les frayeurs du combat ?
— Non, monsieur.
Le lieutenant était agressif.
— Je crois que nous nous sommes trop rapprochés, reprit Bolitho. La forteresse était en portée.
Les hommes qui se démenaient encore s’arrêtèrent un instant pour assister à la joute ; et en effet ces deux-là, mains sur les hanches, avaient tout de duellistes, l’aspirant maigre comme un coucou et l’officier, massive carcasse.
— Le capitaine sait fort bien ce qu’il a à faire, fit nerveusement Wellesley.
Tregorren se tourna vers lui :
— Mais qu’avez-vous besoin d’expliquer ça à un aspirant ? – puis, les toisant tous les deux : Retournez donc à vos pièces.
L’ordre de feu de la bordée bâbord n’arriva pas. Le silence durait, oppressant, brisé seulement par les bruits des hommes sur le pont et les coups de sifflets des boscos tandis que l’on brassait les vergues et que l’on souquait sur les drisses pour venir au nouveau cap.
— J’vous l’avais bien dit, fit le chef de pièce d’un ton bourru, le capitaine prend le large et c’est ce qu’il a de mieux à faire.
Jamais, au cours des exercices répétés et épuisants, Bolitho n’avait senti à quel point la batterie se trouvait isolée du reste du navire. Il était de plus en plus inquiet et mal à l’aise. Au soleil, il savait que le bâtiment avait changé de route mais, à part cela, qui tombait sous le sens, rien ne venait entamer cette impression d’être totalement coupé du monde du dessus.
— Saisissez les affûts !
C’était le planton, dont on ne voyait que la culotte blanche. Il ajouta :
— Tous les officiers sont demandés à l’arrière !
— Je crois bien que le capitaine ne sentait pas bien son affaire, Martyn, fit Bolitho.
— Mais il ne reculerait pas devant un vulgaire pirate ! répliqua Dancer en souriant.
— Bah, ça vaut toujours mieux que de se retrouver à la patouille, non ?
Si la batterie basse n’avait rien subi, ce n’était pas le cas du gaillard. Ébloui par le soleil, Bolitho vit d’abord deux gros trous dans la grand-voile puis une grande flaque de sang sur le pont – un homme tombé du mât ou tué. À travers la brume, on apercevait vaguement la ligne de côte au-dessus de la lisse. L’île et sa forteresse se fondaient déjà dans l’arrière-plan, les bâtiments à l’ancre étaient cachés derrière la pointe qu’ils avaient arrondie sans méfiance quelques heures plus tôt. Et de goélette, nulle trace.
— A ton avis, lui demanda Dancer d’une voix inquiète, où est passée la Cité d’Athènes ?
— Elle est r… restée sur p… place pour surveiller ces salauds, répondit Eden.
Dancer parut se satisfaire de la réponse.
— Ils ont bien de la chance, ceux qui sont à son bord !
Ils se turent : Verling faisait rompre les servants des neuf-livres et invitait les officiers à le rejoindre. Il avait toujours l’air d’aussi mauvaise humeur et son grand nez faisait déjà l’appel pour repérer les absents.
Le capitaine quitta le bord au vent et s’approcha de la lisse du gaillard. Il observait les neuf-livres sous lui. Les armements de pièces étaient occupés à vérifier leurs apparaux et à refaire le plein de boulets.
Des odeurs fortes empuantissaient l’atmosphère : poudre, métal chaud, bois calciné.
— Tout le monde est là, monsieur, annonça Verling.
Le capitaine se retourna et s’appuya sur la lisse. Il les fixait pensivement.
— Nous restons au large pour le moment, puis nous irons mouiller un peu plus loin sur la côte. Comme vous avez pu voir, on nous a tiré dessus, et d’une façon que je n’aime pas du tout !
Il parlait très posément, avec moins d’émotion apparente encore que s’il avait ordonné une séance de fouet.
— L’ennemi semble bien entraîné, et notre modeste bombardement est strictement resté sans effet. Mais je voulais vérifier de près à qui nous avions affaire.
À voir l’air de ceux qui se trouvaient sur le pont supérieur, Bolitho se dit qu’il n’en avait pas terminé.
— Voici quelques mois, poursuivit le capitaine de sa même voix tranquille, il nous est revenu que l’un de nos bricks avait disparu dans ces parages, un brick flambant neuf. Il y avait eu du mauvais temps et plusieurs bâtiments de commerce avaient sombré – il leva les yeux pour observer le pavillon de corne qui se découpait dans le soleil. Lorsque nous nous sommes rapprochés de cette pointe ce matin, la Cité d’Athènes était en tête. Les veilleurs ont annoncé deux bâtiments au mouillage à l’abri de l’île. Seulement, continua-t-il en durcissant le ton, l’un des deux était le brick manquant de Sa Majesté, le Sandpiper, un quatorze-canons. En le voyant, la Cité d’Athènes a dû imaginer que tout était normal et que le capitaine du Sandpiper avait nettoyé l’endroit.
Dancer eut un haut-le-cœur en l’entendant ajouter :
— C’était l’appât et, si nous étions tombés dans le piège, nous nous serions approchés de la forteresse. Là, sans erre et sans eau, nous aurions été détruits sans rémission. La goélette a encaissé plusieurs coups, et je ne suis même pas certain qu’il y ait des survivants.
Il y eut un silence de mort. Bolitho avait encore dans les oreilles le vacarme de la batterie basse ; il se souvenait de leur excitation. Il revoyait le visage impassible de Grenfell et ce qu’il dissimulait en fait de chaleur et de gentillesse. Tout s’était passé sans qu’ils le devinent seulement. Cela n’aurait pas changé grand-chose, ils n’y pouvaient strictement rien, mais tout de même…
— Lorsque nous avons pris la Cité d’Athènes, enchaîna le capitaine, Mr. Tregorren a émis l’hypothèse que les pirates se seraient enfuis en apercevant un autre bâtiment. Je me demande à présent si ce n’est pas de nous qu’il s’agissait : le pirate n’avait pas du tout envie qu’on le voie sur sa prise, un bâtiment de guerre britannique !… Messieurs, je vous laisse imaginer les ravages qu’ils ont pu ainsi causer en agissant en notre nom ! – sa voix se fit plus dure : Aucun capitaine sensé n’oserait résister à un bâtiment de Sa Majesté britannique ! Ce n’est plus de la piraterie, c’est de l’assassinat pur et simple !
— Ce serait évidemment trop simple, approuva Verling. Celui qui commande cette ordure n’a pas les deux pieds dans le même sabot !
Le capitaine fit mine de ne pas entendre :
— Il est possible, laissa-t-il tomber, que certains de nos hommes aient pu en réchapper.
Il contempla la tache de sang étalée à ses pieds.
— Nous n’en saurons peut-être jamais rien, mais nous devons tout faire pour retrouver cette goélette et savoir ce qui s’est passé.
Bolitho jeta un coup d’œil aux autres : reprendre la goélette, rien que ça…
— Un coup de main de ce genre ne peut être monté que de nuit. Nous sommes à la nouvelle lune et le vent nous est favorable, les fusiliers s’occuperont de les distraire ailleurs. Mais je veux absolument que ce bâtiment soit repris et que l’on efface la honte de ce qui lui est arrivé !
Il se tourna vers le chirurgien qui grimpait l’échelle :
— Eh bien ?
— La vigie est morte, monsieur – son visage restait impassible. Il s’est brisé les vertèbres.
— Je vois – et, s’adressant à ses officiers : C’est lui qui a découvert le Sandpiper le premier, reprit le capitaine, il a dû tomber quand un boulet est passé au-dessus du pont.
Bolitho jeta un coup d’œil au chirurgien, qui ne manifestait toujours rien. C’était pourtant cet homme-là qui avait été fouetté.
Le capitaine s’humecta les lèvres – il faisait une chaleur torride, et ce n’était que le début de la journée. Le pire était encore à venir.
— Mr. Verling va vous donner vos ordres. Il n’y aura que deux embarcations : en envoyer davantage réduirait nos chances. Exécution, conclut-il avant de s’éloigner.
— L’attaque sera conduite par deux officiers et trois aspirants, décida Verling.
Puis, s’adressant brusquement à Tregorren :
— C’est vous qui commanderez le détachement. Ne prenez que des hommes bien entraînés, ce n’est pas pour des blancs-becs.
— Mais qu’est-ce qu’il v… veut dire par là, Dick ? demanda à voix basse Eden, qui paraissait tout petit, dans le lot.
— Ça veut dire, répondit Pearce, l’aspirant à la triste figure, qu’on grimpe à bord dans l’obscurité et qu’on leur coupe la gorge sans leur laisser le temps de nous retourner le compliment. Pauvre Grenfell, nous avions grandi dans le même patelin.
— Retournez à vos postes, conclut Verling. Les hommes risquent de se laisser aller après l’action. Trouvez-leur de l’occupation, je ne veux ni plaintes ni gémissements après ce qui vient de se passer.
Ils se dispersèrent, chacun plongé dans de tristes pensées.
— Il va nous falloir une trentaine d’hommes, décida Tregorren.
— Je suis volontaire, monsieur ! s’exclama Pearce.
Tregorren hésita un peu :
— C’est vrai, Grenfell était de vos amis, j’avais oublié. Quelle tristesse !
Bolitho était écœuré : malgré tout ce qui venait de se passer, alors qu’il était peut-être sur le point de se faire tuer ou blesser, Tregorren prenait encore un plaisir malsain à blesser ce malheureux Pearce.
— Demande rejetée, fit sèchement l’officier, avant de se tourner vers Eden et de lui lancer : Mais vous, vous avez de la chance, vous ferez partie de l’expédition.
Il sourit en voyant Eden pâlir.
— Ça, vous pouvez dire que vous avez même une sacrée chance !
— Mais c’est le plus jeune, intervint Bolitho. Nous avons plus d’expérience que lui et…
Il se tut en découvrant soudain le piège dans lequel il allait tomber.
— Nous y voilà, fit Tregorren en le pointant du doigt, j’avais aussi oublié cela ! Mr. Bolitho craint que quelqu’un salisse son honneur et que la honte en retombe sur son illustre et puissante famille !
— C’est un mensonge, monsieur, c’est ignoble !
— Et alors, répondit Tregorren en haussant les épaules, peu importe après tout. Vous serez de la fête ainsi que l’inestimable Mr. Dancer.
Il se campa face à eux, les mains sur les hanches :
— Le premier lieutenant m’a donné l’ordre de ne prendre que des hommes aguerris. Mais nous avons aussi besoin d’aspirants expérimentés pour armer ce bâtiment. Et pour un coup de main, il suffit d’avoir le nombre d’hommes strictement nécessaire.
Il tira sa montre de son gousset.
— Je veux que tous les hommes soient parés d’ici à une heure. Mr. Hope sera mon adjoint, rendez-lui compte quand tout sera prêt.
— J’aime encore mieux Hope que Wellesley, nota amèrement Dancer, au moins ce n’est pas une lavette.
Ils remontèrent le passavant en ressassant leurs souvenirs de Grenfell et de tous ceux qui avaient péri avec la goélette.
— Mais j… je n’ai absolument pas peur, dit férocement Eden, tout en les regardant d’un air pitoyable. Ce n’est pas ça, c’est s… seulement que je ne tiens pas à y aller avec Mr. T… Tregorren ! Il veut notre mort !
Dancer sourit, histoire de le réconforter un brin.
— Allez, on sera avec toi, Tom. Ça ira bien, tu verras !
Puis, se tournant vers Bolitho :
— Mais ça se passe comment, Dick ? Tu en as l’expérience ?
Rêveur, Bolitho laissait son regard errer entre les filets. On apercevait vaguement à travers la brume la pointe et la mer qui scintillait.
— Ça va très vite, tu sais, tout est dans l’effet de surprise.
Il n’osait pas les regarder : qu’aurait-il bien pu leur dire ? Il aurait fallu leur raconter les cris et les jurons des hommes qui se battent au couteau et au sabre, les empoignades à la hache et à la pique d’abordage. Cela n’avait rien à voir avec un combat naval, bâtiment contre bâtiment. Là, il s’agissait d’hommes, face à face, des hommes de chair et de sang.
— Laisse tomber, j’ai compris, fit doucement Dancer. Allez, il n’y a plus qu’à espérer qu’on aura de la chance.
Arrivés en bas, ils trouvèrent Pearce et les autres occupés à remettre en place coffres et sièges. Les instruments étaient repartis avec les aides du chirurgien dès que l’on avait rompu du poste de combat.
Contre l’une des membrures de la Gorgone, il y avait le coffre de Grenfell et, pendant juste par-dessus, son chapeau et son manteau.
— Il avait toujours dit qu’il ne serait jamais lieutenant, fit Pearce. Maintenant, c’est sûr, il ne risque plus.
Bolitho leva les yeux en voyant arriver l’aspirant Marrack, toujours aussi impeccable dans sa chemise immaculée.
— Laisse tomber, il s’en est peut-être tiré, fit-il sèchement.
Il jeta son manteau sur une chaise avant d’ajouter :
— Si vous aviez vu ça, la Cité d’Athènes n’avait pas une seule chance. Ils étaient en train de réduire la toile quand la forteresse les a pris à partie.
Il resta là, les yeux dans le vague.
— Elle a pris feu avant de chavirer. J’ai vu quelques-uns des nôtres qui essayaient de nager, puis les requins sont arrivés.
Il se tut, incapable d’en dire plus.
— Je me souviens avoir lu quelque chose à propos du Sandpiper, dit Dancer en se tournant vers Bolitho.
— Une chose est sûre, reprit Marrack, notre capitaine ne permettra jamais qu’un bâtiment de Sa Majesté reste aux mains de l’ennemi, quel que soit le prix à payer.
Il ouvrit son coffre et en sortit un étui de cuir.
— Prends mes pistolets, Dick, ce sont les meilleurs de tout le bord. C’est mon père qui m’en a fait cadeau.
Et il se détourna, comme pour ne pas laisser paraître son émotion ni sa soudaine gentillesse, avant d’ajouter :
— Tu vois à quel point je te fais confiance !…
Leur garçon de poste arriva :
— J’vous d’mande bien pardon, messieurs, mais le quatrième lieutenant cherche à savoir où vous êtes et il crie comme un fou !
— Décidément, ce Tregorren !
Dancer était amer comme jamais.
— Je suis bien d’accord avec Tom, tiens ! Cette grosse brute est bien trop imbue de sa personne pour mon goût !
Ils se dirigèrent vers l’échelle, mais s’aperçurent tout à coup qu’Eden n’était pas avec eux : il était resté planté devant le coffre de Grenfell et regardait fixement le manteau qui se balançait au roulis.
— Allez, Tom, viens, lui dit doucement Bolitho, on a pas mal de pain sur la planche d’ici au coucher du soleil…
… Et même ensuite, ajouta-t-il in petto.